Une pose bien méritée - With Freya

Elle poussa la porte de la bibliothèque après un instant d'hésitation, laissant résonner un léger tintement après son passage. L'intérieur était bien sûr - comme on pouvait s'y attendre, couvert de livres en tout genre. Des volumes plus épais que ses bras, de fines revues et des BD, des mangas et des romans de poches, il y avait de tout étalé ici et là, se serrant sur des étagères. Après un énième instant d'hésitation, elle franchit le seuil, soupirant sur sa mission du jour. Depuis son réveil, elle avait habité avec Elda, s'occupant d'elle autant que la jeune fille s'occupait d'elle. Freya avait constaté avec tristesse que cette foutu malédiction avait remis à zéro sa jeune sœur, lui faisant perdre toute sa mémoire ou presque - elle se souvenait heureusement avoir une jumelle, soit elle. C'était un véritable travail chaque jour pour la jeune femme, parce qu'Elda était encore persuadée être un ordinateur. Et elle n'osait lui faire voir la vérité, parce qu'elle-même détestait l'idée d'être... humaine. Et ce qui la révulsait encore plus, c'est qu'elle savait, au fond d'elle-même, sans pour autant se l'avouer vraiment, que sa sœur serait surement heureuse de cet état.

En attendant, Freya apprenait chaque jour un peu plus à sa sœur, sur le fonctionnement du monde et ses émotions, même si au final elle pataugeait un peu. Elle s'était alors rappelé que dans l'autre monde, dans son Tokyo, lorsqu'Elda avait tout réapprit, les livres de leur mère l'avait énormément aidé à appréhender le monde et ses sentiments. Bien que Freya y était aussi pour beaucoup. C'est donc déterminée à lui en trouver un que l'ancienne ordinateur sortit de chez elle, habillée comme à son habitude de noirs, contraste avec les couleurs pastels de sa sœur, soit aujourd'hui une sobre robe noire collant à son corps. La bibliothécaire semblait plonger dans un livre, et ne prit même pas la peine de la saluer à son entré. «La race Humaine» pensa-t-elle avec dégout. Mais la jeune femme sembla enfin pouvoir s'arracher de sa lecture.

-Elda ? Tiens que recherches-tu comme lecture aujourd’hui ? Est-ce que tout va bien?

Et elle ne put retenir un soupire. Bien qu'elle ne sorte peu, Freya se faisait très souvent confondre avec sa jumelle - quoi de plus normal ? - à un point que cela devenait presque... agaçant. Même si là, elle en était plutôt blasée. Elle jeta un regard morne sur la jeune femme en face d'elle. Elda était si naïve et gentille qu'elle fricotait avec tout les humains qui passaient sans distinctions.

-Je m'appelé Freya. Elda est ma sœur, annonça-t-elle d'un ton glacial. Mais je suis ici pour elle. Je cherche une bande dessiné nommé la Ville déserte. Et aussi quelques ouvrages sur l'informatique. Les plus récents possible s'il vous plait.

Elle voulait en effet voir jusqu'où les humains étaient allés dans ce monde par rapport au sien. Et surtout, elle voulait tester cette... magie. Dans cette ville, tout semblait chargé de détail transformé sur les vies d'avant de ses habitants, et Freya espérait bien trouver l'ouvrage de sa mère ici. Il avait su aider sa sœur avant, peut être aujourd'hui encore.

Elle ne semblait pas surprise par ses dires, mais après tout c'était bien du genre de sa sœur de parler à tord et à travers de sa famille, et notamment de sa pauvre jumelle dans le coma. Cela ne l'étonnait en fait même pas de la jeune fille, elle savait très bien qu'elle était adorable. Mais si elle avait pu être la seule à le savoir, cela lui aurait convenu. Elle ressentait parfois le besoin d'enlever sa sœur à ce monde humain, à la garder caché pour qu'elle puisse s'épanouir loin de la race des hommes, rester si pure et innocente. Elle avait déjà été rejeté par les hommes, et Freya ne savait pas si elle pourrait supporter à nouveau la douleur de sa sœur. Elle se souvenait parfaitement de cet humain, Hideki, trop peu prêt, trop obtus, pas assez ouvert. Du mobilier, une machine à laver mobile, voila ce qu'était Tchii pour lui. Et ils étaient tous ainsi, les humains. Tous hypocrites, tous menteurs et orgueilleux, vaniteux. Du regard, elle observa la jeune femme se diriger dans les rayons, avant de lui emboiter le pas. Elle regarda en même temps les nombreux titres qui dérivaient sous ses yeux, jusqu'à ce que la bibliothécaire ne lui présente le livre qu'elle cherchait.

-C'est ce livre ? Il est très joli, ce doit etre une belle histoire.

Freya ne retint même pas un grognement, un geste plus animal qu'humain, mais qu'importe, elle ne se considérait pas ainsi. Elle manipula avec précaution le petit livre, avec... émotion. Voila de dernier ouvrage de sa mère, de leur mère. Elle le feuilleta légèrement, examinant ces pages aux couleurs pastels mêlés à des décors sombres qu'elle n'avait vu qu'à travers le regard d'Elda. Elle vit défiler les mots, ravivant sa mémoire, elle qui devait se souvenir de tout pour toujours. Comme s'était ironique, lorsqu'on y repensait. Des jumelles. L'une perdait sa mémoire à la moindre perturbation, condamné à recommencer sa vie à zéro trop souvent. L'autre la conservait malgré tout, condamné à se souvenir à jamais.

-Ce n'est pas une belle histoire, finit-elle par dire. C'est la réalité peinte de la nature des Hommes.

La jeune femme revint alors, lui présentant quelques livres désirés. Freya parcourut rapidement les titres des yeux, analysant les couvertures. Elle n'aurait peut-être pas tant de lecture que ça, en fin de compte. Ils semblaient assez avancer dans la technologie... Il ne leur manquait que celle, suprême, des Persocom. Elle revint prêt du comptoir, saisissant le sac, où l'autre avait ajouté un roman pour sa sœur. Elda avait-elle seulement lu un livre depuis sa réinitialisation ? Elle en doutait, et peut-être que cela lui ferrait du bien. Fronçant le nez, elle fixa la bibliothécaire. Pourquoi faisait-elle cela ? Cherchait-elle à avoir sa reconnaissance, quelque chose des deux sœur ? Cherchait-elle même à élever son esprit en étant gentille avec les autres ? Les humains faisaient toujours ça. Avec une grimace de dégout difficilement contenu, Freya fit glisser sur le comptoir la carte de sa sœur pour enregistrer les livres dessus.

L'idée que quelqu'un puisse lire ce livre était-elle dérangeante ? Elle s'apercevait que oui. Elles avaient toujours trouvé un exemplaire du livre dans la librairie près d'elles, un seul exemplaire qu'elles prenaient toujours. Est-ce que même quelqu'un avait déjà lu cette histoire à part elles, l'homme qui avait hébergé sa sœur et son auteur, leur mère ? Elle n'en était pas sûr, pas sûr du tout même. C'était un peu quelque chose de privée. Et pourtant, dans cette boutique, dans cette ville, le livre, rassemblant toutes les parutions en une, se trouvait dans les rayons, se trouvait être dédoublé, triplé même, et plus. Freya avait soudainement l'envie d'arracher tout ces livres pour tous les emporter. C'était l'histoire de sa vie, une histoire que sa mère avait adressé à sa sœur, et seulement à sa sœur, et à ce garçon qui devait être rien que pour elle. Le livre était maintenant aux vents, à disposition du premier venu. Ses doigts se crispèrent, posés sur le livre, lui-même dans le sac sur le comptoir. Elle n'avait qu'une envie, soustraire au moins celui-là au monde.

-Ce truc à des… problèmes je crois. Tout bloque et je n’arrive plus à rien faire. Je ne comprendrais jamais rien à cette chose que l’on appel technologie. Tu as de la chance de comprendre et de t’y retrouvé. Voudrais-tu y jeter un coup d’œil ? je ne veux pas te déranger avec ça, mais tu es la première personne qui manifeste un intérêt pour la matière.

La jeune fille pouvait avoir au moins le mérite de lui avoir tirer un franc sourire. Comprendre, c'était vraiment le mot en ce qui concernait sa relation aux ordinateurs, et autre technologies. Elle ne les considérait pas comme des êtres vivant, non, elle ne faisait pas cette erreur là pour de simple processeur sous-développé. Mais elle comprenait tout d'eux instinctivement, elle savait comment ils fonctionnaient, et comment s'occuper d'eux. Alors oui, la remarque la faisait sourire. Surtout qu'il n'y avait aucune question de chance là-dedans. Elle était naturellement ainsi, et si cette foutue malédiction n'était pas intervenu, elle serait toujours un ordinateur. La jeune femme passa derrière le comptoir, plus pour le geste et le symbole qu'autre chose. Elle aurait pu se connecter en wifi, sans même un contact avec l'appareil, elle n'avait pas vraiment besoin de visuel. Mais elle aimait bien voir tout de même ce qu'elle faisait, et puis cela ... effrayait moins les humains. Et elle ne cherchait pas à les effrayer. Pas qu'elle partage le point de vue de sa sœur, convaincue qu'elle doive aider tout ces gens, leur porter assistance et bonheur. Mais les effrayer, c'était se faire remarquer. Et elle ne tenait pas vraiment à se faire remarquer. Elle avait déjà du régler... Quelques petits problèmes avec sa banquière, qui avait remarqué les changements plus qu'anormal sur le compte d'Elda, et maintenant elle était assurée de son silence. Pas qu'elle ne l'ai tué, cela n'aurait fait que reporter le problème.

Enfin bon. Freya était donc passer derrière le comptoir, aux cotés de la jeune bibliothécaire, regardant son ordinateur. Ou plutôt l'antiquité qui lui servait d'ordinateur. Elle fronça son nez face à la vétusté de la chose. Allons quoi, ils étaient dans une ville magique, qui avait évolué pendant vingt-huit ans avec le monde dans lequel ils se trouvaient, et la mairie n'avait pas pu allouer un budget suffisant pour qu'ils achètent un bon ordinateur ? A moins que tout l'argent ne soit passer dans l'achat de liv... Oui bon d'accord. Tout l'argent était sans doute passer dans ses livres, au détriment de l'entretien et des équipements.  Il n'y avait qu'à regarder la jeune femme qui tenait boutique pour s'en apercevoir. Soupirant, elle se concentra sur l'appareil. Posant un doigt sur l'écran - non tactile par tout les câbles de cette ville ! - elle parcourut les fichiers de sa pensée, les programmes et les codes, trouvant le logiciel assez rapidement. Mais surtout, elle traversa un nombre incalculable de bug, d'erreur de calcul et autres virus ralentissant l'ordinateur. Dans le même temps, les données qu'elle parcourait s'affichait en caractère verdâtres sur l'écran. Bon, question discrétion on avait connu mieux. Mais Freya n'était pas vraiment au fait des mœurs humaines, et pour elle, dans son monde, c'était parfaitement normal. Elle finit par retirer doucement sa main, et l'écran redevint normal, affichant le bureau.. Puis quelques secondes après, le logiciel s'ouvrit de lui-même. Ou plutôt sous l'impulsion de Freya, via la wifi étrange qu'elle supportait dans son corps. Elle soupira enfin, se tournant vers la jeune femme.

-L'ordinateur est assez vieux. Et même pas mal vieux Je vous conseillerais d'en changer. Garder un petit budget pour les équipements, quand on tiens une boutique c'est essentiel, quitte à acheter moins de livres.

C'était malgré tout plus fort qu'elle. Il y avait eu ce programme un jour, enfouit en elle, sur la comptabilité et la gestion d'entreprise. Secouant la tête pour remettre ses pensées en ordre, elle poursuivit.

-En attendant, j'ai corrigé quelques bugs et enlever deux-trois virus, cela devrait fonctionner pour l'instant. Mais j'insiste, changer vos appareils. Celui-là doit dater du siècle dernier.

Elle souriait, et en se rendant compte de cela elle se renfrogna et quitta définitivement le coté vendeur pour repasser devant le comptoir.